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C'est pas mon idée !

dimanche 28 avril 2024

La FinTech française en 2024

Pôle Finance Innovation
Le troisième palmarès FinTech100 élaboré par le Pôle Finance Innovation et Trufle Capital nous fournit aujourd'hui une excellente opportunité d'analyser l'état de l'écosystème en 2024… au-delà des constats évidents, entre raréfaction des capitaux et mouvement de consolidation, qui affectent profondément le nouveau classement.

Parmi les points forts relevés notamment par BPCE, partenaire de l'étude, je retiendrai ici les trois qui me paraissent les plus marquants, surtout dans la mesure où ils déterminent les spécificités du paysage hexagonal en comparaison d'autres régions (et je pense plus particulièrement au Royaume-Uni et aux États-Unis) : le positionnement dans la chaîne de valeur, les préoccupations vis-à-vis de la réglementation et… l'adoption massive de l'intelligence artificielle (quelle surprise 😀).

Sur le premier volet, c'est une tendance historique qui continue à s'affermir : désormais plus de sept jeunes pousses de la liste sur dix (72% exactement) opèrent en « B2B » et distribuent leurs produits auprès des acteurs financiers. La FinTech des origines, qui visait à se substituer à ces derniers en offrant une expérience « digitale » directement aux clients déçus par les institutions traditionnelles, laisse ainsi de plus en plus la place à un modèle d'éditeur de logiciel ciblant le secteur bancaire ou de l'assurance.

Il ne faut hélas pas s'étonner de cette évolution vers ce qui fut un temps nommé « TechFin » quand on voit combien les tentatives de lancement de solutions « B2C », qu'elles soient à l'intention du grand public ou des entreprises, sont découragées. Évoquez un tel projet et tout le monde vous dira que c'est irréalisable tandis que les bailleurs de fonds se détourneront de vous. L'audace et la persévérance nécessaires ne sont pas suffisamment développées dans ce pays pour ce genre d'aventure difficile.

Palmarès FinTech 100

La réticence généralisée est d'autant plus regrettable que les plus grands succès de la FinTech tricolore – dont, par exemple, ses licornes : Lydia, Younited, Qonto, Alan, Swile, Pennylane, Payfit, Pigment… – ont presque tous une approche directe, ce qui est parfaitement logique car celle-ci est beaucoup plus propice à l'hypercroissance que l'édition de logiciel. Incidemment, elle ouvre la porte aux startups étrangères (pensez à Revolut, N26, Wise…) qui jouissent alors d'un marché sans concurrence locale.

Dans ce contexte, il est en revanche incompréhensible que la réglementation soit présentée comme un défi par la plupart de ces organisations, qui, n'étant que des fournisseurs de technologie, ne sont donc pas soumises aux exigences les plus sévères, propres à la finance. Celles qui les affectent, par exemple autour de la protection des données et l'IA, pourraient pourtant être appréhendées comme des moyens de gagner la confiance de leurs clients avec l'avantage d'une intégration « native ».

Enfin, après un démarrage timide en 2022, l'intelligence artificielle fait paraît-il une entrée en force dans la moitié des entreprises citées. Malheureusement, elle est essentiellement mise en œuvre dans l'univers du marketing, où elle ne contribuera guère à améliorer les offres. Là encore, l'audience visée explique probablement ces progrès modestes, quand on sait à quel point les grands groupes restent méfiants envers ces technologies et s'en tiennent pour l'instant à l'observation et l'expérimentation.

En conclusion, la FinTech française se répartit aujourd'hui entre une petite poignée d'acteurs cherchant réellement à rompre le statu quo et une vaste quantité d'éditeurs de logiciels s'adressant à des établissements classiques peu enclins aux transformations radicales. Entre un effet de volume minimal pour les premiers et l'immobilisme des seconds, notre secteur financier risque de peu évoluer à moyen terme.

Monzo offre des saucisses

Monzo
Après trois années sans changement majeur, Monzo a décidé de renouveler entièrement sa gamme de forfaits bancaires afin de mieux répondre aux attentes différenciées de ses 9 millions de clients. Parmi les avantages qu'elle met en avant figure un feuilleté à la saucisse (ou autre gourmandise) chez Greggs, chaîne de boulangerie britannique.

Au-delà de l'anecdote (savoureuse !), c'est naturellement la démarche mise en œuvre qui m'intéresse, rejoignant la longue série des petites idées aux grandes implications (au moins intellectuelles) à laquelle nous a accoutumés la néo-banque depuis sa naissance. Et, comme souvent dans ces aventures (en dehors de rares accidents malheureux), l'histoire de cette refonte commence par une recherche approfondie et systématique des habitudes, des préférences et des besoins de ses clients.

Certes, il n'est rien d'exceptionnel à organiser des enquêtes massives (auprès de plus de 45 000 personnes, tout de même), afin d'enregistrer les réactions aux produits existants et collecter les demandes et les souhaits pour une version améliorée. Plus difficile, mais tout aussi banale (j'espère), est la réalisation d'une synthèse permettant, à défaut de savoir individualiser la solution à chaque cas particulier, de dégager trois niveaux de plans correspondant à des profils types dans lesquels une majorité se reconnaît (y compris, bien entendu, dans le registre du tarif et de son acceptabilité).

Mais Monzo ne s'arrête pas là et ajoute à cette première couche d'analyse une seconde formule dont je soupçonne qu'elle n'est pas si courante dans l'industrie de la finance. En effet, au cours de la mise au point de ses nouvelles offres, la jeune pousse a exploré les données dont elle dispose, de manière à identifier à travers leurs transactions les pratiques les plus fréquentes parmi ses clients et à déduire de cette connaissance les actions précises susceptibles de générer le maximum d'impact et d'adhésion.

Moneo x Gregg

Ainsi en arrive-t-on aux saucisses ! En l'occurrence, les sondages ayant relevé l'intérêt marqué des consommateurs pour un avantage tel qu'un café ou un snack gratuit, une étude sur les dépenses des adeptes de ses programmes privilégiés antérieurs a révélé que Greggs était leur enseigne favorite pour ce genre d'achat. Il devenait alors évident de conclure un partenariat avec elle : les souscripteurs des deux abonnements les plus complets se voient donc octroyer un cadeau par semaine dans ses boutiques.

Dans un esprit similaire, au vu du volume important de billets de train commandés par les mêmes clients (et, incidemment, des bienfaits pour la planète d'encourager le recours aux transports en commun), ils bénéficient dorénavant d'une carte annuelle de réduction auprès de Trainline. A l'inverse, la prise de conscience du faible usage des accès aux salons d'aéroport et autres opérations spéciales dédiés aux voyageurs a conduit à abandonner l'option, au profit d'autres plus largement appréciées.

La banque, en général, est encore très loin de l'ultra-personnalisation, qui serait capable de délivrer une expérience sur mesure pour chaque individu et chaque moment de sa vie. En attendant, Monzo montre la voie vers une optimisation intermédiaire : en utilisant le pouvoir de l'information, il devient facile (et bientôt indispensable) de s'assurer, pour en maximiser l'efficacité, que les offres destinées à de vastes segments de population sont alignées au mieux avec les préférences du plus grand nombre.

samedi 27 avril 2024

Chase s'ancre dans les communautés locales

Chase
Un peu en marge de ses 4 500 agences traditionnelles dispersées sur le territoire américain, Chase développe depuis cinq ans un petit réseau de « centres communautaires », aux objectifs sensiblement différents, ciblant généralement les besoins des populations défavorisées. Elle vient d'ouvrir le dix-septième dans le Bronx.

Dans une démarche qu'on imaginerait plus facilement empruntée par un établissement mutualiste que par un géant commercial, la filiale de J.P. Morgan dédie en priorité ces implantations d'un nouveau genre à l'accompagnement des personnes et des entreprises locales, pour la plupart issues des minorités ethniques, sur la voie de la santé et de la résilience financière, faisant passer au second plan les fonctions transactionnelles habituelles (qui, bien sûr, ne disparaissent pas pour autant).

En lieu et place (ou en complément ?) d'un directeur d'agence, le site est animé par un gestionnaire de communauté. Son rôle consiste à appréhender, à travers des rencontres avec les principales figures du quartier choisi, les attentes de sa population vis-à-vis d'un acteur financier puis à définir et mettre en place les programmes adaptés afin d'y répondre de la meilleure façon possible. Entièrement personnalisés, ceux-ci peuvent ainsi prendre des orientations diverses selon les situations rencontrées.

L'ambition de Chase est de parvenir à tisser des liens plus étroits avec des interlocuteurs peu familiers du système bancaire, intimidés par ses standards et qui, en raison de cette distanciation, ne profitent pas des opportunités qui leur permettraient d'optimiser leurs perspectives, aussi bien à titre individuel qu'en tant qu'entrepreneur. Concrètement, il s'agit par exemple de mettre à l'aise, avant même qu'il ne franchisse la porte, et d'aider sans détour un visiteur qui ne sait pas à qui poser sa question.

Selon cette logique, le centre met en avant une composante éducative à plusieurs facettes. Il organise notamment, à l'intention de tous, clients ou non, des conférences et ateliers sur des thématiques pratiques de gestion de budget, d'accession à la propriété ou encore d'introduction à l'investissement. Dans un autre registre, il offre également des entretiens privés destinés à assister les professionnels dans leurs projets.

En amont, pour vaincre les réticences à franchir le seuil de l'agence, des efforts ont été mis sur la création d'un espace convivial, en collaboration avec la communauté. Entre autres, la décoration a été partiellement inspirée par les étudiants d'une école d'art toute proche et, réminiscence d'expériences lointaines, une vaste salle peut accueillir les événements de la banque ou les boutiques éphémères d'artisans des environs.

Justifiant son initiative par les retombées forcément positives d'une économie locale florissante pour une institution financière, il faudrait toutefois être naïf pour croire que Chase dessine l'avenir de son réseau physique dans ce format (qui ne concerne donc pour l'instant que 17 implantations sur 4 500). Mais il peut malgré tout ouvrir une réflexion intéressante sur la mission future de l'agence une fois que les interactions commerciales et opérationnelles sont dématérialisées. À mon avis, il manque pourtant dans la vision proposée un relais « digital » à l'approche envisagée car, de nos jours, une relation de proximité passe nécessairement aussi par internet.

Agence Chase

jeudi 25 avril 2024

Square généralise le paiement hors ligne

Square
À l’occasion de l’annonce de sa généralisation à l’ensemble de sa gamme de terminaux, dans tous les pays où ceux-ci sont distribués, je redécouvre cette option de Square, dont la première implémentation remonte à 10 ans, permettant aux marchands de conserver leur capacité d’encaissement en l’absence de toute connectivité.

Le principe était évidemment essentiel pour le modèle d’origine de la jeune pousse, puisqu’elle s’adressait en priorité aux professionnels itinérants (commerçants occasionnels, vendeurs sur les marchés, artisans à domicile…), pour lesquels la possibilité d’accéder à un réseau internet fiable est impossible à garantir en permanence (encore moins en 2014 qu’aujourd’hui). Or, s’ils ne peuvent accepter les paiements en toute circonstance, l’intérêt de la solution est sérieusement diminué.

Concrètement, c’est un mode de secours, dégradé, qui est proposé aux utilisateurs. Activé à la demande, il va enregistrer les transactions sur le terminal et attendre la restauration d’une connexion opérationnelle afin de les transmettre pour traitement (normal). Du point de vue du client final, l’expérience est totalement transparente. En revanche, en raison des risques d’incident a posteriori (dont l'inconnue que représente la persistance de l’interruption au-delà du délai maximal de 24 heures indiqué dans les conditions de mise en œuvre), le vendeur peut définir des limites spécifiques.

Square Offline Payments

Avec l’extension du mécanisme à l’intégralité du catalogue de Square, il n’est désormais plus seulement question de maintenir le service dans les zones blanches ou lors de défaillances d’un fournisseur de télécommunications. Tout en insistant sur ses efforts constants en vue d’assurer une disponibilité maximale, l’entreprise reconnaît qu’elle peut, elle aussi, être victime de pannes. Son palliatif vient alors à la rescousse et contribue à réduire, sinon entièrement éliminer, les impacts pour ses clients.

Tandis que toutes les tentatives récentes de mise au point de porte-monnaie électroniques universels, en particulier celles émanant de banques centrales désireuses de remplacer les espèces, butent sur le dilemme des échanges hors ligne, l’historique de Square sur le sujet, apparemment validé par sa décision de prolonger son approche, constitue une source d’enseignements extraordinaires, même s’ils doivent être contextualisés, depuis la confirmation des compromis nécessaires entre intégrité des paiements et continuité de service jusqu’à leur acceptation par les intéressés.

mercredi 24 avril 2024

Standard Chartered rénove son portail d'API

Standard Chartered
Pour Standard Chartered, la banque ouverte est une évidence depuis 2019, concrétisée par le lancement de sa place de marché permettant à ses entités internes, à ses partenaires et à ses clients d'exploiter facilement ses services. Cinq ans plus tard, elle en dévoile une nouvelle version destinée à corriger ses approximations de jeunesse.

Pour la plupart des institutions financières, le concept d'« open finance » n'a guère dépassé le stade des interfaces réglementaires imposées par la deuxième directive des services de paiement (DSP2), en Europe, ou ses équivalents dans les autres régions du monde. A contrario, Standard Chartered a choisi tôt d'en faire un axe stratégique de développement prioritaire. Avec la maturité qu'elle a acquise de la sorte, elle a progressivement pris conscience de l'importance de la dimension « marketing » d'une telle démarche, qui justifie donc ses derniers efforts en date.

Sur le fond, d'abord, l'établissement peut se vanter d'une sérieuse avance sur la concurrence en affichant un catalogue de plus de 100 APIs, couvrant les 33 pays, tout autour de la planète, où il possède une présence, ainsi que ses différents métiers, représentés par des fonctions aussi diverses qu'une option de paiement fractionné ou le trading sur le marché des devises. Du point de vue des usages aussi, les statistiques – dont le demi-milliard d'invocations chaque année – sont plutôt impressionnantes.

En revanche, jusqu'à récemment, sa démarche commerciale était restée à un stade relativement primitif. Comme toutes les entreprises faisant leurs premiers pas sur un terrain vierge et inconnu, Standard Chartered avait tendance à s'appuyer sur ses méthodes traditionnelles pour la conquête de clients et leur enrôlement : en résumé, plate-forme de communication institutionnelle et interactions humaines. Ce qui, bien sûr, ne correspond pas (ou plus) aux attentes des adeptes de finance ouverte.

Standard Chartered – Open Banking Marketplace

En remplacement de l'ancien site (aXess), les visiteurs disposent désormais d'une authentique place de marché, à l'état de l'art, capable de répondre aux besoins et aux questions de tous les publics concernés, depuis des responsables « métier » jusqu'aux personnes en charge de l'intégration, en passant par les développeurs logiciels.

Aux premiers elle offre naturellement une vision fonctionnelle des services proposés, organisée par secteurs cibles (industrie, e-commerce, FinTech…), assortie d'études de cas et de témoignages d'utilisateurs, servant non seulement à séduire les prospects mais également à susciter l'inspiration. Et si les spécialistes techniques ont accès à toutes les documentations nécessaires afin d'assurer leurs missions, y compris, bien sûr, sur les aspects de sécurité, un bac à sable, susceptible d'être pris en main par des non professionnels grâce à des outils sans code, autorise en parallèle les expérimentations en conditions proches d'un environnement de production.

Même parmi les acteurs les plus en pointe, le volet marketing est encore trop souvent négligé dans les politiques de promotion de la banque en services. Les solutions distribuées sous forme d'API n'ont pourtant (quasiment) aucune valeur si, d'une part, elles ne captent pas instantanément l'attention des décideurs en position de profiter de leurs capacités et si, d'autre part, elles ne répondent pas aux « normes » modernes qu'attendent désormais les équipes informatiques. L'exemple donné par Standard Chartered ouvre la voie vers l'industrialisation d'un modèle adapté à ces exigences.

mardi 23 avril 2024

Sweetie gère les finances des couples séparés

Sweetie
Avec près d'un couple sur deux finissant par se séparer, ce sont quelques 10 millions de français qui, potentiellement, devront un jour gérer un budget commun avec leur ex pendant une période plus ou moins longue. Sweetie, sélectionnée par La Poste pour ses « Coups de Cœur #FemmesDuNumérique », est là pour les accompagner.

La présence d'un ou plusieurs enfants, avec les dépenses importantes qu'ils entraînent, pour de longues années, constitue évidemment une situation propice à ce genre de besoins, mais il ne faut pas oublier les autres cas, tel que, par exemple, les charges liées à une résidence, en attendant que son sort soit définitivement réglé. Ces interactions imposées après la rupture sont des sources de conflit et de friction dont tout le monde, y compris au-delà des intéressés, se passerait volontiers.

Dans cette perspective, Sweetie propose une application qui vient en quelque sorte prendre une place de médiatrice neutre. À l'instar de celle que distribue Onward aux États-Unis depuis 2022, elle permet d'enregistrer les transactions à répartir (selon un barème prédéterminé) entre les anciens partenaires, assorties de leurs justificatifs afin d'écarter tout risque de contestation, puis endosse la responsabilité, par voie électronique, du traitement des demandes de remboursement correspondantes.

La jeune pousse ajoute en outre une dimension de preuve juridique (a minima, car non réellement opposable, a priori) à son dispositif. Non seulement les règles de distribution des charges peuvent-elles être, le cas échéant, établies sur la base de décisions judiciaires, tous les règlements consignés par l'intermédiaire de la plate-forme donnent également lieu à la production de compte-rendus « certifiés » susceptibles d'être versés aux dossiers d'une caisse d'allocations familiales, d'un avocat, d'un juge…

Accueil Sweetie

En revanche, la solution semble pour l'instant requérir une saisie manuelle des opérations à intégrer. Dans une version plus aboutie, elle pourrait, comme l'a maintenant ajouté Onward de son côté, faciliter la tâche de ses utilisateurs en leur procurant la faculté de connecter leurs comptes bancaires, de manière à leur laisser simplement sélectionner les lignes concernées sur leurs relevés. L'étape suivante consisterait à introduire un instrument de paiement commun pour éviter les avances de frais.

Naturellement, le marché comporte aujourd'hui pléthore d'outils destinés à piloter les dépenses de groupes ou de familles (notamment celles qui ne possèdent pas de compte joint). Cependant, les particularités des séparations – entre obligations légales et relations antagonistes – exigent une approche spécifique qui justifie parfaitement l'existence de Sweetie (et Onward, sur l'autre rive de l'Atlantique). Espérons maintenant que le service progresse rapidement afin de dépasser son stade actuel de MVP.

lundi 22 avril 2024

L'épineuse question de l'exactitude de l'IA

ICO
Dans un monde confronté quotideiennement aux dangers de la désinformation, l'intelligence artificielle – prise entre ses graves hallucinations et ses petites approximations – génère des inquiétudes supplémentaires pour la notion même de vérité. Alors le gendarme britannique de la protection des données (l'ICO) consulte sur le sujet.

Depuis l'irruption de ChatGPT sur internet et l'engouement massif qu'il a provoqué, tous les régulateurs de la planète se précipitent afin de comprendre les défis inédits qu'engendrent les plates-formes de ce genre et de tenter de leur apporter des réponses, en vue de leur exploitation bénéfique pour tous dans des conditions satisfaisantes. Or, si les préoccupations qu'elles expriment paraissent légitimes, leur manière d'envisager des solutions appropriées laisse malheureusement beaucoup à désirer.

Ainsi, dans le cas de l'ICO (qui pourrait aussi être celui de la CNIL française ou de l'EDPB européen), la question soulevée, évidente, se révèle aussi critique qu'urgente : comment éviter que l'application de l'intelligence artificielle ne s'égare quand elle s'exerce sur une matière aussi sensible que la personne et quand les erreurs commises peuvent causer des préjudices plus ou moins graves, depuis l'atteinte à la réputation jusqu'au refus d'accorder un crédit (pour ne prendre que ce seul exemple financier) ?

Dans son exploration de ce véritable trou noir, qui menace autant à travers les outils mis à disposition du grand public que via ceux que déploient progressivement les entreprises (en général avec une certaine prudence, par bonheur), l'agence commence par interroger les parties prenantes en évoquant les pistes de réflexion qui lui semblent les plus prometteuses, à savoir le contrôle de la justesse des données d'entraînement des modèles et l'évaluation (et la divulgation) du degré de précision de leurs résultats.

ICO Consultation

Hélas, ces orientations, bien que logiques en apparence, n'aideront guère à faire face au problème. Sur le premier aspect, si l'introduction de contenus de mauvaise qualité (tels que ceux issus des réseaux sociaux) lors de la mise au point des « raisonnements » de l'IA (par imitation, rappelons-le) entraîne inévitablement des défauts majeurs, la véracité des entrants n'offre aucune garantie de fiabilité à la sortie, ne serait-ce qu'en raison des déformations que peut susciter la façon d'interagir avec le logiciel (le « prompt »).

Quant à la mesure de l'exactitude des modèles, même statistique, on perçoit bien combien elle est insaisissable. Outre son évolution dans le temps, à peu près imprévisible, elle est surtout fortement dépendante des usages : le moindre écart par rapport au domaine de « compétences » initial d'une solution la rend instantanément caduque. Par ailleurs, il faudrait que les utilisateurs – humains ou robots – apprennent à prendre en compte cette estimation avant d'exploiter les informations produites.

En conclusion, l'intelligence artificielle générative a ouvert une boîte de Pandore, dont on discerne difficilement les options disponibles afin d'en maîtriser les conséquences. Espérons que la consultation de l'ICO (et, éventuellement, de ses équivalents dans le monde) permette de dégager quelques idées opportunes… En attendant, le plus sage consiste à maintenir un contrôle (humain) systématique sur ce qui émane de cette technologie et à ne jamais la laisser nous faire croire qu'elle détiendrait la vérité !

dimanche 21 avril 2024

Google s'attaque aux catastrophes naturelles

Alphabet X
À la convergence de ses expertises incontestables en matière de cartographie et d'intelligence artificielle, Alphabet (Google) développe activement, dans le cadre de sa division X dédiée à ses projets les plus ambitieux, des solutions avancées de prédiction et d'aide à la remédiation des catastrophes naturelles et de leurs impacts.

Quelles que soient les actions entreprises maintenant en vue de le limiter à terme, le réchauffement climatique est désormais une certitude, tout comme ses conséquences, dont notamment l'augmentation dramatique inéluctable du nombre de phénomènes dangereux, constatée presque quotidiennement partout autour de la planète. En parallèle des efforts environnementaux, l'humanité à donc besoin, en urgence, de moyens de contrôler ces épisodes qui menacent des populations entières.

L'initiative Bellwether prend donc ce problème à bras-le-corps, sous deux angles complémentaires. D'abord focalisée sur les deux catégories de sinistres les plus fréquents et les plus dévastateurs que sont les incendies et les inondations, elle élabore en amont des modèles prédictifs capables de déterminer la probabilité de survenue d'un événement sur une longue période (jusqu'à 5 ans), tandis que, en aval, elle conçoit des outils destinés à identifier rapidement les dommages et où concentrer les secours.

L'approche retenue s'avère extrêmement sophistiquée, basée principalement sur l'accumulation de photographies aériennes et combinant, entre autres, une analyse de l'évolution dans la durée de la surface de la terre, à la fois dans sa dimension naturelle et à travers ses constructions, avec un recensement des éléments surveillés (par exemple les catégories d'essence végétale, les types de bâtiment, les vents dominants…) permettant d'évaluer aussi finement que possible les risques à appréhender.

Alphabet X – Betllwether

La mission que se donne l'équipe de Bellwether est également double. D'une part, il s'agit d'offrir aux parties prenantes – citoyens, organismes publics, entreprises privées (dont, évidemment, les assurances)… – de la visibilité et de la transparence sur leurs niveaux d'exposition, grâce auxquelles elles sont en mesure d'anticiper les cataclysmes et, donc, de s'y préparer, voire de s'en prémunir, avec beaucoup plus d'efficacité.

Puis le deuxième volet entre en jeu quand arrive le pire : il faut réagir vite et en priorité là où c'est le plus important afin de limiter les dégâts (matériels et humains), ce que la plate-forme aide à qualifier immédiatement. La Garde Nationale américaine a ainsi adopté le système, avec lequel elle ne perd plus, comme aujourd'hui, des heures à chercher, manuellement, les cartes les plus appropriées de la zone affectée et à repérer les points sensibles où elle doit intervenir pour optimiser ses opérations.

Parce que le dérèglement climatique est déjà enclenché, parce que rien ne permettra de l'infléchir avant des décennies et parce que ses effets sur nos vies et nos activités vont devenir de plus en plus écrasants, la mise au point de solutions de prévention et d'assistance, telles que celles d'Alphabet X, devient aussi critique que les démarches de protection de l'environnement et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Voilà un nouveau chantier à engager… notamment par le secteur de l'assurance.

samedi 20 avril 2024

ABN AMRO se renforce sur l'éducation digitale

ABN AMRO
Décidément, la transition « digitale » massive des banques néerlandaises ne parvient pas à trouver la recette idéale pour emporter l'adhésion de l'ensemble de la population : outre une frange de réfractaires, il subsiste toujours une proportion non négligeable d'exclus numériques auxquels il faut fournir un soutien de proximité.

La réduction drastique des réseaux d'agence aux Pays-Bas depuis une décennie trouve son origine dans l'adoption généralisée (et volontaire) des plates-formes web et mobiles par une immense majorité des consommateurs. Malheureusement, pour quelques-uns, dont les seniors constituent le principal contingent (mais ce serait un cliché de croire qu'ils sont les seuls), la bascule s'avère beaucoup plus difficile, faute de familiarité avec la technologie et de confiance en soi pour son utilisation.

Déjà consciente des risques en 2018, ABN AMRO avait institué une force spéciale offrant à tous ceux qui le souhaitaient d'obtenir dans les agences encore ouvertes une assistance individuelle à la manipulation des outils électroniques. Dans une probable tentative de réduction des coûts, elle a ensuite misé sur un effort concerté avec quelques-unes de ses consœurs, d'abord avec des bénévoles puis via une association spécialisée et le déploiement d'un plateau téléphonique à la mission minimaliste.

Alors que la demande ne semble pas faiblir, notamment en raison de l'explosion de la cybercriminalité, les résultats de ces initiatives ne sont vraisemblablement pas probants puisque l'établissement annonce maintenant le doublement des effectifs dédiés à son premier dispositif, rebaptisé « Help with Banking », pour passer à plus de 200 collaborateurs, disponibles tous les jours afin de répondre aux questions et aux incertitudes des clients essayant de piloter leurs comptes avec les applications.

ABN AMRO Help with Banking

Ces conseillers d'un nouveau genre ont un double rôle, qu'ils peuvent exercer en agence ou à domicile. Leur priorité consiste à familiariser les novices avec les services en ligne. Il peut s'agir d'expliquer pas à pas les fonctions disponibles ou d'organiser une visite générale à la découverte des options parfois méconnues (par exemple en matière de protection contre la fraude). Mais ils sont aussi là pour un accompagnement opérationnel et peuvent aider concrètement à exécuter une transaction.

La démarche constitue d'une certaine manière un aveu d'échec par rapport à la vision utopiste qui imaginait de convertir un jour tous les clients à la banque à distance. Il est certainement encore possible, par une formation adaptée, de continuer à tendre vers cette cible mais elle est impossible à atteindre, au moins dans des délais raisonnables. La seule solution viable, hormis l'abandon (auquel cèdent quelques enseignes), reste d'offrir un autre mode de relation, personnalisé, aux victimes d'illectronisme.

vendredi 19 avril 2024

Le RPA de KeyBank remplace 500 employés

KeyBank
Éclipsés par l'emballement médiatique pour l'intelligence artificielle et ses promesses de révolution, les robots d'automatisation de processus (RPA) sont pourtant, dès aujourd'hui, les principaux accapareurs d'emplois humains, comme en témoigne l'américaine KeyBank qui a remplacé l'équivalent de 500 personnes sur 300 mises en œuvre.

Dans n'importe quelle entreprise possédant un minimum d'historique, le RPA agit comme une drogue. La première expérimentation révèle instantanément tous ses bénéfices : accélération des traitements et, donc, meilleure réactivité, notamment vis-à-vis des clients, renforcement de la fiabilité, réduction, voire élimination, des coûteuses interventions humaines… Dès lors, la tentation est irrésistible d'en généraliser le recours (en dépit des prix souvent exorbitants pratiqués par les fournisseurs).

KeyBank se trouve ainsi dans le cas où son addiction s'aggrave. Non contente de la première génération de solutions, qui lui a tout de même permis d'engranger des résultats substantiels, elle est passée à un stade supérieur avec ce qui est maintenant qualifié d'hyper-automatisation (entre autres par son partenaire OutSystems) et applique ses méthodes de rationalisation à des centaines de processus dans tous ses métiers, vantant les gains immenses qu'elle en tire pour son efficacité opérationnelle.

KeyBank x OutSystems

Je propose cependant d'aborder la démarche sous une autre perspective. Chaque instance de robot correspond en réalité à un fonctionnement défaillant dans l'organisation, qu'elle pallie, certes, mais, hélas, ne résout pas fondamentalement. Ce sont ainsi des myriades de problèmes qui sont identifiés – dont le responsable de la transformation de KeyBank attribue d'emblée la faute à des systèmes informatiques vieillissants – et en quelque sorte couverts d'un sparadrap pour en limiter l'impact.

Plus raisonnablement, la technologie n'est pas la seule en cause. Les processus orchestrés « autour » des outils mis en place au fil du temps sont eux-mêmes victimes d'obsolescence, en particulier lorsque les logiciels sont venus successivement en automatiser telle ou telle tâche ou séquence, en support ou en substitution à une activité humaine, sans préoccupation pour la cohérence du parcours global. Dans ces conditions, le RPA permet tout au plus de « recoller les morceaux » au mieux.

Un peu comme si, à la naissance de l'automobile, les utilisateurs s'étaient contentés de charger leur carriole à cheval sur une voiture afin d'aller plus vite, ces robots autorisent une accélération (et quelques autres avantages) mais ne devraient jamais dispenser d'une réflexion stratégique sur tout ce que le concept de « digitalisation » recouvre d'autre. Or, quand 300 processus sont déjà passés à la moulinette et procurent une illusion de progrès, le risque est grand d'oublier l'indispensable chantier de fond.